La grammaire chinoise : les mots ne coulent pas de source

Xavier Liu
chemin du chinois

La grammaire chinoise est plus qu'un parcours du combattant dans la mesure où il faut anticiper et préciser tous les détails dans l'ordre chronologique jusqu'à la fin.

On ne peut pas qualifier de simple la grammaire chinoise parce que celle-ci n'a pas de conjugaisons, ni de genres et d'accords. Rappeler qu'à l'écrit les phrases sont une suite de mots placés les uns après les autres sans séparateurs, à l'exception des ponctuations bien sûr. La première chose à faire est de segmenter une phrase pour faire apparaître sa construction logique ou grammaticale. C'est une étape primordiale qui détermine la compréhension de la phrase. A l'oral cette étape n'est pas plus simple, parce que chaque mot unitaire est monosyllabique et prononcé avec une cosonne suivie d'une voyelle. On retrouve ici la même sensation qu'à l'écrit d'une suite de mots placés et prononcés les uns après les autres. Le travail préliminaire de segmentation est toujours nécessaire. A la lecture comme à l'écoute, il s'agit d'aller jusqu'au bout de chaque phrase pour repérer sa construction avant de pouvoir saisie son sens.

Cette démarche est à l'opposé de la pratique en français. Prenons un exemple simple :

J'ai bu du thé vert hier au salon de thé dont tu avais parlé.

Dans cette phrase, on peut faire des arrêts sur image successifs de gauche vers la droite et à chaque arrêt le sens reste intelligible et à propos. Et il se précise au fur et à mesure avec les arrivées d'informations complémentaires. Traduite en chinois, cette même phrase ne pourra plus se lire ou se comprendre à l'oral de cette manière qui se caractérise par la centralité de l'évènement principal, celui d'avoir bu un thé dans l'exemple, et par le déploiement progressif de compléments en lien avec l'évènement.

Toutefois, la centralité de l'évènement est exprimée en chinois comme en français si celui-ci n'a pas d'autres qualificatifs.

lechá.

J'ai bu du thé.

Le code couleur présente les trois segments de la phrase :

SujetSujetVerbeVerbeComplémentComplément

Plus on ajoute des compléments d'information, plus la construction chinoise s'éloigne de celle française.

le绿chá.

J'ai bu du thé vert.

Ci-dessus, le segment complément est enrichi d'un qualifiant 绿 vert. En chinois, le qualifiant se situe toujours devant le qualifié, en l'occurrence le chá thé.

昨天zuótiānle绿chá.

J'ai bu du thé vert hier.

SujetSujetContexteContexteVerbeVerbeComplémentComplément

Ici un nouveau segment apparaît, celui du contexte 昨天 zuótiān hier. Il indique la circonstance dans laquelle l'action se déroule. Celle-ci peut être temporelle, spatiale ou conditionnelle et elle doit être placée avant le segment verbe.

昨天zuótiān茶馆cháguǎnle绿chá.

J'ai bu du thé vert hier au salon de thé.

SujetSujetContexteContexteVerbeVerbeComplémentComplémentRésultatRésultat

Dans la phrase ci-dessus, deux phénomènes nouveaux sont apparus. D'abord le terme français dans un salon de thé est traduit en aller dans un salon de thé avec l'ajout du verbe chinois aller, parce qu'exprimer la présence dans un lieu en chinois est toujours introduit par un verbe. Quand plusieurs verbes sont employés pour le même évènement, leur positionnement dans la phrase doit refléter la chronologie d'enchaînement des verbes. Dans notre exemple, le verbe aller doit précéder celui boire.

L'introduction du nouveau verbe ainsi que le respect à l'enchaînement chronologique changent de façon significative la segmentation de la phrase. Le nouveau verbe aller occupe le segment du verbe, le mot 茶馆 cháguǎn salon de thé prend le segment du complément, les anciens segments du verbe et du complément deviennent le nouveau segment de la phrase, celui du résultat. Il renseigne sur le résultat avéré ou attendu à l'issue de ce qui se passe dans les segments qui le précèdent, à savoir je suis allé au salon de thé. A noter que le segment du résultat est construit de deux sous-segments, un verbe et un complément.

昨天zuótiānshuōde茶馆cháguǎnle绿chá.

J'ai bu du thé vert hier au salon de thé dont tu avais parlé.

Ci-dessus, le segment du complément est enrichi d'un qualifiant 你说 nǐ shuō tu parles. Celui-ci doit être placé devant le qualifié 茶馆 cháguǎ salon de thé, l'auxiliaire de n'a pas de sens et il relie le qualifiant au qualifié.

Enfin, noter que le segment du contexte a deux emplacements possibles : avant ou après le segment du sujet. Les deux constructions sont équivalentes.

昨天zuótiānshuōde茶馆cháguǎnle绿chá.

SujetSujetContexteContexteVerbeVerbeComplémentComplémentRésultatRésultat

昨天zuótiānshuōde茶馆cháguǎnle绿chá.

ContexteContexteSujetSujetVerbeVerbeComplémentComplémentRésultatRésultat

J'ai bu du thé vert hier dans le café dont tu m'as parlé.

En plaçant les traductions littérales en français dans le même ordre, on obtient deux façons d'organiser la phrase :

JeJehierhierallerallertutuparlerparlerauxiliaireauxiliairesalonsalondedethéthéavoiravoirbubuvertvertthéthé

HierHierjejeallerallertutuparlerparlerauxiliaireauxiliairesalonsalondedethéthéavoiravoirbubuvertvertthéthé

Derrière cet agencement d'apparence incongrue se cachent de véritables règles grammaticales. La maîtrise de celles-ci permet d'éviter toutes tentatives hasardeuses ou gymnastiques intellectuelles fastidieuses dans la pratique du chinois.

La répétition est une pratique courante pour apprendre une langue. Face au chinois, répéter c’est bien, savoir pourquoi répéter c’est mieux, parce qu'une phrase fait référence à une grammaire et que la même grammaire permet de construire beaucoup d'autres phrases.

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