L’écriture chinoise a-t-elle un alphabet ?

Xavier Liu
chemin du chinois

Le plus grand obstacle pour apprendre le chinois est sans doute son écriture. Celle-ci est tellement rédhibitoire que le choix est fait d’avance pour de nombreux apprenants, celui de délaisser l’écriture pour se consacrer uniquement au pinyin, la transcription phonétique en alphabet latin. La raison principale de ce choix est que le temps et l’énergie nécessaires à cet apprentissage dépassent largement le maximum que l’on prévoit de mettre sur cette langue.

Même s’il est inutile de tenter de convaincre qui que ce soit que l’écriture chinoise est aussi simple que celle d’une langue alphabétique comme le français par exemple, s’interroger sur l’existence ou non d’une logique d’écriture n’est pas dépourvu d’intérêt. Car les écoliers chinois n’apprennent plus les gestes physiques de tracer les mots très tôt à l’école primaire pour se concentrer sur l’élaboration de textes. L’écriture physique de nouveaux mots, encore nombreux à ce stade, est sous la responsabilité individuelle de chaque élève. Face à l’apparence difficile de l’écriture, existe-il des risques de décrochage scolaire ? Oui, mais pas au niveau de l’écriture physique elle-même. Toute proportion gardée, c’est comme les élèves français les plus en difficulté savent tous écrire les lettres de l’alphabet. C’est comme s’il existe aussi un alphabet dans l’écriture chinoise.

Oui, les mots chinois sont écrits avec des traits et des formes codifiés. Ceux-ci s’appellent les radicaux. Leur nombre est une centaine environ. Ils sont dépendants dans le sens où chaque radical a besoin de s’associer avec d’autres pour former un mot, à l’instar des lettres de l’alphabet français dont chacune, à l’exception de a et de y, ne forme pas un mot à elle seule.

Les lettres de l’alphabet chinois portent un sens

Contrairement aux lettres de l’alphabet français, les radicaux chinois portent une signification et celle-ci aide à catégoriser et à regrouper les mots.

Parmi les mots hǎi mer, rivière, hàn sueur et laver, le radical de gauche est identique et il signifie l’eau et le liquide. L’ensemble de ces mots indiquent un lien avec l’eau ou l’usage de l’eau.

Les mots comme xiǎng penser, rěn se résigner, zhōng fidèle et zhì volonté sont tous formés avec le même radical situé en bas, le qui signifie le coeur au sens figuré et lié au sentiment ou à l’activité cérébrale.

Les hǎi mer, méi prunier, huǐ regretter et mépriser ont tous le même radical de droite. Mais ceux de gauche signifient respectivement l’eau, l’arbre, le sentiment et la personne.

En plus des radicaux porteurs de signification comme présentés dans les exemples ci-dessus, de nombreux mots chinois emploient d’autres mots comme radicaux. Ce phénomène linguistique est très connu en français : compte, acompte, compter, comptable.

Ce type de radicaux en chinois, qui sont également des mots indépendants si écrits séparemment, participent à donner sens aux nouveaux mots ou indiquent tout simplement la prononciation de ces derniers. Pour certains mots les deux rôles sont présents. Pour d'autres aucun des deux rôles est manifeste car l'origine figurative de l'écriture chinoise est perdue au cours des siècles au profit du remploi des mots pour rendre plus faciles l'écriture et la lecture.

Dans le mot xiǎng penser, le radical du haut peut être un mot à part entière xiāng mutuellement. En tant que radical, il indique à la fois une prononciation similaire et un sens à donner au nouveau mot . En effet, ce dernier peut s'employer pour signifier penser à quelqu'un de cher. La réciprocité est généralement présente dans ce type de sentiment partagé.

Dans le mot hǎi mer, le radical de droite měi chaque ne fournit pas d'indication facilement interprétable au sens populaire. Mais l'écriture de est facile à reproduire et à reconnaître parce que le mot est couramment employé en chinois, par exemple dans 每天 měi tiān tous les jours, 每年 měi nián tous les ans.

Contrairement à une impression directe et intuitive, l'écriture chinoise n'est pas irrégulière ni à apprendre individuellement mot par mot et trait par trait. Elle est construite avec deux types de radicaux. Les radicaux dépendants sont limités en nombre et permettent une sorte de classification des mots. Les radicaux indépendants sont également des mots à part entière si employés séparemment. Ils peuvent indiquer la prononciation ou un sens. Quoi qu'il en soit, Leur présence facilite l'écriture et la lecture. Plus on connaît des mots, plus c'est facile d'en connaître d'autres.

Les mots à taille égale et à dimensions multiples

En français, les lettres s’écrivent de gauche à droite pour former des mots. Un mot est donc une suite de lettres alignées en une seule direction. En chinois et pour former un seul mot, les radicaux s’écrivent selon plusieurs directions, de gauche à droite, de haut en bas, de l’extérieur vers l’intérieur. Là où les mots français s’étirent vers la droite en longueurs différentes selon le nombre de lettres, les mots chinois se présentent chacun en longueur égale quels que soient le nombre de radicaux constitutifs. Pour une raison esthétique et pratique, chaque mot se tient dans un espace carré. Ainsi les phrases en chinois s’écrivent de gauche à droite avec une suite d’espaces carrés dont chacun est occupé par un mot.

Un exemple : 他去了中国 prononcé en tā qù le zhōngguó et traduit en Il est allé en Chine.

Remarquer qu’à l’écrit les mots chinois ne sont pas entourés d’espaces comme en français, parce que chaque mot est déjà délimité par un carré de dimensions égales, à la différence des mots français dont la longueur est variable et fixée par un espace ouvrant et un fermant.

Cette règle d’occupation homogène d’espaces carrés s’appliquent également au sein des mots composites, comme le nom propre 中国 zhōngguó la Chine. Cela suscite naturellement la question de comment repérer les mots composites dans une phrase si ceux-ci ne sont pas délimités par des espaces. En français, cet aspect visuel est important parce qu’il rend possible l’identification des mots. En chinois, les mots composites ainsi que leur définition se déduisent selon des règles grammaticales.

Exemple : 他去了中国餐馆 tā qù le zhōngguó cānguǎn Il est allé au restaurant chinois.

Le même nom propre 中国 zhōngguó la Chine se traduit en chinois dans l’exemple ci-dessus parce que son rôle est de qualifier le mot 餐馆 cānguǎn restaurant.

Exemple : 这是个国中国 zhè shì gè guó zhōng guó C’est un pays dans un pays.

Dans l’exemple ci-dessus, la règle grammaticale dit que 中国 zhōngguó ne forme plus un mot composite pour signifier la Chine et que les deux mots simples sont séparés pour prendre chacun un sens.

En chinois, les mots dans leur unité sont facilement reconnaissables puisque qu’ils sont parfaitement alignés en ligne et en rang comme disposés sur une surface divisée en carrés de parts égales par des lignes horizontales et verticales. Nul besoin d’espaces comme séparateur de mots, comme en français. Avec ce format rectiligne, des phrases écrites de haut vers le bas se lisent aussi facilement que celles écrites de gauche vers la droite.

Dans cette écriture, chaque mot unitaire conserve son sens primaire. Dans 中国 zhōngguó la Chine, le mot unitaire zhōng signifie centre et le guó pays. Leur association signifie littéralement pays du milieu ou empire du milieu. Mais l’association des mots n’est pas prédéterminée dans sa forme ni le sens à donner à une association. Les exemples ci-dessus montrent que la juxtaposition de et prend trois sens différents, la Chine dans 中国 zhōngguó, chinois dans 中国餐馆 zhōngguó cānguǎn, pays dans un pays dans 国中国 guó zhōng guó.

Comment identifier les associations de mots ainsi que leur signification est le point central de l’écrit, de la lecture et de l’oralité en chinois. Toute la grammaire chinoise est basée sur des règles à rendre univoque l’interprétation d’une suite de mots.

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